1. Indigo AG™ ?
Classée en 2019 par CNBC comme la licorne la plus « disruptive de l’année », Indigo AG veut, révolutionner l’agriculture ! - https://www.cnbc.com/2019/05/15/meet-the-2019-cnbc-disruptor-50-companies.html
Indigo AG™ (https://www.indigoag.com/) ne vous dit peut-être rien mais cette agri-tech créée en 2014 possède déjà des fondamentaux impressionnants : un financement de 850 millions de dollars (dont 200 millions début 2020 !), une valorisation de 3,5 milliards de dollars et plus de 800 employés à travers le monde…
Si sa mission interroge : « utiliser la microbiologie naturelle et la technologie pour améliorer la préservation de l’environnement, les bénéfices pour les producteurs et, bien sûr, la santé du consommateur avec l'aide d’une plateforme numérique qui permet aux producteurs et aux acheteurs de se connecter électroniquement les uns aux autres ». Son modèle économique est plus clair et sa mise en œuvre redoutable d’efficacité.
Indigo AG™ basée à Boston a été lancée sous le nom de Symbiota™, non par des spécialistes de l’agriculture, mais par des experts de la transformation digitale des marchés (Noubar Afeyan et Geoffrey von Maltzahn). Des entrepreneurs spécialisés dans les biotechnologies qui estiment que la digitalisation des marchés doit générer du profit. Le projet débute en 2014 et, en janvier 2015, fait appel à David Perry ancien CEO de l’industrie pharmaceutique, à la tête de la société.
Indigo démarre en tant que société de microbiologie spécialisée dans la vente de semences traitées par des micro-organismes qui auraient la faculté d’améliorer leur rendement avec moins d’intrants chimiques. Mais les fondateurs comprennent vite que l’agriculture est mûre pour une véritable révolution digitale ce qui a transformé le champ d’expression d’Indigo. Depuis son lancement, Indigo a lancé des business units qui s’étendent du traitement des semences, à la mise au point d’outils agronomiques en passant par le trading des grains, leur stockage ou la logistique, etc. L'idée générale n'est plus simplement de vendre une alternative rentable au sein du système existant, mais de « changer » l'agriculture telle que nous la connaissons.
2. Quel est le credo d’Indigo ?
En effet, malgré des initiatives très intéressantes, le secteur agricole a, jusqu'à présent, majoritairement échappé à sa réinvention par le numérique. Alors que la technologie numérique a aidé les machines agricoles à devenir plus puissantes et plus précises, le secteur n’est pas fondamentalement différent de ce qu’il était il y a un siècle. Les agriculteurs sont obligés de tirer le maximum de profit de leurs parcelles, coincés entre la hausse des coûts et les fluctuations, souvent à la baisse, des prix sur les marchés.
Pour vendre leur récolte, les agriculteurs, soit, la vendent, au comptant, au prix offert par celui qui détient le moyen de stockage ; généralement inférieur au prix du marché. Soit, ils commercialisent eux-mêmes leur production sur les marchés à terme des produits céréaliers. Dans ce dernier cas, même si ils bénéficient d’un prix potentiellement meilleur, ses céréales sont souvent stockées « en dépôts » chez des organismes stockeurs/collecteurs. Où, elles sont mélangées aux autres…
Et dans ce "mélange", chaque graine a le même prix, quel que soit le lieu où elle a été cultivée. Le système repose sur l'hypothèse qu'une tonne de maïs, de soja, de blé ou d’orge est aussi générique qu'un baril de pétrole brut, qu'elle soit récoltée en Beauce, au Kansas, en Australie ou en Ukraine. L'anonymat d'une marchandise et l’opacité de son cheminement du champ à usine sont la clé des « métiers » de l'agroalimentaire. Depuis la révolution industrielle, les sociétés qui contrôlent l’infrastructure nécessaire à la centralisation, au transport et à la transformation des produits bruts de millions d’exploitations agricoles dans le monde entier ont phagocyté la valeur ajoutée. Dans cet environnement, les cultures elles-mêmes restent génériques et indifférenciées – une tonne de blé dur est une tonne de blé dur.
C'est ce système qu'Indigo espère changer en trouvant de nouveaux moyens de monétiser la valeur inexploitée dans ce que chaque ferme, prise individuellement, fait bien ou mieux. Et tout cela est alimenté par du Big Data couplé à l’Intelligence Artificielle. Indigo part du principe que les cultures dites de base ne sont pas toutes équivalentes. Le maïs d'un agriculteur peut contenir plus d'amidon que la plupart des autres ; un autre peut nécessiter moins d'eau ou moins de pesticides pour se développer, etc. La société veut trouver des moyens d'indemniser les agriculteurs pour ces spécificités, afin qu'ils ne soient plus obligés de vendre dans un océan de céréales anonymisées.
Pour Indigo, le système existant est une énorme opportunité manquée. Dès qu'une culture est mélangée dans un silo à grains, elle acquiert un prix et un prix seulement - et les informations essentielles disparaissent dans l'éther de produits de base mondialisé. Mais trouver des moyens de suivre ce qui est singulier à propos de chaque culture permettra aux acheteurs d’être beaucoup plus sélectifs, aidant ainsi les producteurs à mieux monétiser leurs actifs. Bien que les géants de l’industrie agroalimentaire privilégient avant tout la standardisation, Indigo estime que la spécificité n’a pas encore de valeur et qu’il faut lui en donner une !
3. Comment Indigo capte la valeur ?
Faire ces distinctions, évaluer chaque spécificité, nécessite des données ; une énorme quantité de données. C’est pourquoi Indigo a lancé un gigantesque appareil de collecte de données : Indigo Research Partners (IRP), surnommé « le plus grand laboratoire agricole au monde ». C’est un réseau mondial de capteurs, de drones et de satellites qui envoient 1.000 milliards de points de données par jour. 125 très grosses exploitations, principalement américaines, d'une superficie moyenne de plus de 3.000 hectares, réparties dans les plus grandes zones de production, permettent à Indigo de collecter des données et de tester de nouvelles technologies sur le terrain. Pour mettre de l’huile dans les rouages, les 125 exploitations du groupe IRP d’Indigo remontent leurs données en contrepartie d’actions Indigo… Le directeur de l'IRP, Barry Knight, affirme que les données d'Indigo sont uniques. « Il n’existe aucune autre entreprise, au monde, disposant d’un réseau de 20 000 hectares de recherche connectée. ».
Les partenaires d’IRP sont des énormes exploitations (plus de 2.000 hectares), à la pointe de la technologie. Or, les exploitations de plus de 2.000 hectares représentent 1% des fermes mais couvrent plus du tiers de la superficie agricole utile des États-Unis. Combinez ces données granulaires avec la technologie satellite dont Indigo dispose après l’achat de Tellus Labs et ils ont su prédire le rendement du maïs américain en 2017 avec une précision de 99%. Indigo se donne comme objectif de fournir des données analytiques à l’hectare à tous les agriculteurs de la planète. Indigo possède sans doute les yeux et les oreilles numériques agricoles les plus performantes au monde, et peut faire des prédictions sur les terres agricoles américaines sans doute mieux que n’importe qui d’autre… Indigo s'est même vanté à deux reprises de fournir des données que le ministère de l'Agriculture des États-Unis n'avait pas : la première fois lors du « shut down » du gouvernement américain fin 2018 ; la seconde après des inondations dans le Midwest au printemps 2019.
Indigo parie que la transparence et la traçabilité permises par ses données guideront l’avenir de la filière. En parallèle, Indigo développe et investit dans de nouvelles technologies permettant d’évaluer, de suivre, de surveiller et de protéger les récoltes stockées et en attente de trouver un acheteur. Indigo cite les meuneries qui préfèrent du blé riche en protéines, tandis que les brasseurs préfèrent une teneur en protéines plus faible. Aujourd’hui, où tout est mélangé dans les sites de stockage, on ne sait pas différencier les attributs de chaque récolte. Or chaque acheteur aimerait trouver une matière première optimale pour sa transformation. A l’image du brasseur Anheuser-Busch (bière Budweiser) à qui Indigo offre la possibilité de contracter pour un type spécifique de céréale livré à dates précises.
Indigo offre la possibilité à l’agriculteur de faire émerger sa production au milieu des autres et de lui fournir un débouché.
4. Comment convaincre les agriculteurs ?
Mais pour convaincre les agriculteurs d’adhérer à la plateforme, Indigo doit leur démontrer, en permanence, que ce système va leur faciliter la vie ! Comme la majorité des personnes, les agriculteurs préfèrent traiter avec un guichet unique. Pour être incontournable, Indigo doit se rendre indispensable pour les agriculteurs, de la graine à l’usine. Afin d'offrir suffisamment de valeur pour que les producteurs s’impliquent dans Indigo, ce dernier doit tout simplement être le meilleur dans chacun des compartiments qu’il traite :
Indigo a lancé en 2018 son propre service en ligne de Place de Marché. Cette « Marketplace» de grains est destinée à mettre en relation directement les producteurs et les acheteurs ; en offrant à ces derniers la garantie de la qualité des céréales. Les agriculteurs obtiennent de meilleurs prix en vendant au bon moment. Pour faciliter le transfert direct entre l’agriculteur et l’acheteur, Indigo fournit au producteur les moyens techniques de stocker sa récolte à la ferme.
Le sac étanche à l’air permet au grain d’être stocké dans un environnement sec et contrôlé. Une fois les sacs scellés, le niveau d’oxygène est réduit et la concentration de dioxyde de carbone est augmentée. Cet environnement élimine pratiquement les maladies fongiques et les insectes sans l’utilisation de produits chimiques (dixit le fabricant)… En plus, à condition d’autoriser Indigo à surveiller leurs céréales et d’en amasser les données résultantes, ces agriculteurs reçoivent un « incitatif financier » mensuel.
5. Indigo vers un futur GAFAM(I) ?
La masse de données recueillie donne à Indigo un puissant levier sur le secteur agricole. Déjà, les concurrents potentiels ou d’autres start-up dans le secteur de l'AGtech dépendent des données d’Indigo. Qui leur octroi des licences afin de développer leurs propres produits. Cela permet à Indigo de surveiller de près tous les développements en cours et de choisir les technologies les plus prometteuses. Indigo teste ainsi indirectement plus de 100 technologies de tous types (drones, capteurs, satellites, etc.) et négociera un rachat ou un partenariat si un produit fait ses preuves.
Les entreprises qui veulent « disrupter » un marché ne sont pas simplement hyper-compétitives. Elles révolutionnent entièrement un secteur de l'économie, ce qui a souvent pour conséquence de les retrouver en situation de monopole sur leur marché. Cela peut sembler immoral pour certains, mais pour les startups, cela peut être un objectif explicite.
L'idée n'est plus simplement de monétiser les données ; toutes les entreprises de technologie veulent le faire. L'objectif d'Indigo est plutôt de créer une entreprise agricole fonctionnant davantage comme Google ou Facebook. C’est-à-dire une entreprise disposant de ressources d'informations si vastes que leurs services en deviennent indispensables pour la vie quotidienne de millions d’agriculteurs de par le monde avec les risques de dépendance économique que cela suppose...
Photos Indigo AG™, Crédits : Indigo AG™, https://thecounter.org/indigo-agriculture-disruptive-startup/